On connaît
la passion que Didier Malherbe éprouve depuis
près de vingt ans pour le doudouk, instrument
à vent originaire d’Arménie et chargé
de la mémoire des hommes qui souffle depuis des
siècles le velours de ses sons nostalgiques,
souvent très émouvants.
Cette passion s’épanouit
notamment au sein d’Hadouk Trio, réjouissant
tant par la personnalité attachante de ses membres
(Steve Shehan et Loy Ehrlich) que par son répertoire
ethnicisant. On peut en goûter les charmes soyeux
au long de sept albums publiés en une quinzaine
d’années. Ce qu’on sait sans doute moins, c’est
que loin d’imiter la musique arménienne qu’il
aime, Malherbe s’est longtemps exercé à
inventer son propre chant en interprétant au
doudouk les standards de jazz qu’il jouait jadis au
saxophone soprano, et y prend le même plaisir
d’instrumentiste qu’avec le bansourî, autre vieille
compagne en musique.
Didier Malherbe,
aventurier et habitant historique de la planète
Gong dont les extravagances cosmiques ont fait les beaux
jours des années 70 et continuent à résonner
aujourd’hui,s’adonne ici à la relecture de standards
et à son amour du jazz en un duo serein avec
Eric Löhrer, autre voyageur de la musique dont
le parcours protéiforme témoigne d’une
curiosité de chaque instant. En effet, au-delà
de ses incursions dans des univers musicaux aussi variés
que la chanson, le rock, la soul ou la musique contemporaine,
ce guitariste philosophe s’est illustré au sein
de plusieurs formations (Trio Eric Löhrer, Open
Air), ou aux côtés de personnalités
très créatives (Andy Emler, Eric Le Lann,
Julien Lourau). En 1998, Löhrer enregistrait Evidence,
un album acoustique en solo consacré à
la musique de Monk. Un signe avant-coureur ?
Beau pedigree, donc,
pour ces deux artistes ; mais n’allons pas imaginer
sous cette Nuit d’ombrelle le rendez-vous de deux agitateurs
qui, confrontant leurs démarches, provoqueraient
un échauffement taquin de leurs molécules
sonores. Au contraire, ce double disque s’apparente
à une halte apaisée, une conversation
tranquille au coin du feu entre deux amis en parfaite
communion qui déroulent tranquillement le tapis
velouté de leur chant et content leurs histoires
communes sans élever la voix. La mer étale
de leur musique n’en est pas moins séduisante,
la texture enchanteresse du doudouk, dont Didier Malherbe
joue sur la quasi-totalité des titres, se posant
naturellement, en toute élégante délicatesse,
sur la sérénité des notes égrenées
discrètement par Löhrer. Rien de révolutionnaire
- rien que le bonheur de (dé)jouer de belles
mélodies entrées au Panthéon du
jazz, et de les parer de nouvelles couleurs, dans un
climat méditatif et intime.
Cependant, Nuit
d’ombrelle est plus qu’un hommage humble et chaleureux
ces thèmes éternels que sont « Cry
Me A River », « ‘Round Midnight »,
« St James Infirmary », « Mood Indigo
», « Monk’s Mood » ou « I Remember
Clifford ». Si le premier des deux CD, Jazz Songbook,
propose une balade tranquille dans l’histoire du jazz,
le second, Nuit d’ombrelle, se compose d’une courte
suite de neuf improvisations dont le déroulement
présente la même évidence : la musique
coule, limpide et sans embardées. La juxtaposition
des deux démarches n’est jamais artificielle,
et traduit au plus près l’ambition des deux musiciens
: avant tout nous faire comprendre d’où ils viennent,
puis nous entraîner où bon leur semble,
quelque part entre leurs rêves et notre réalité.
Nuit d’ombrelle
est un disque attachant dont les douces teintes vespérales
sont une incitation à la flânerie rêveuse.
Difficile de ne pas se laisser séduire par ces
dialogues complices : la pause amicale à laquelle
ils nous convient est avant tout bienfaisante.
Denis Desassis
 Mai 2011
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